La neuro-ergonomie va-t-elle optimiser la formation des pilotes d’avion ?

Imaginez que dans quelques années, un avion, par le biais d’une interface, pourrait bien être capable d’évaluer l’état cognitif et émotionnel de son pilote et « agir » en conséquence pour la sécurité et le bien-être des passagers et du personnel de bord. Menée à l’Institut Supérieur de l’Aéronautique et de l’Espace (ISAE, Toulouse, France), une recherche vient de démontrer l’intérêt de suivre l’activité cérébrale des pilotes en conditions réelles de vol. L’occasion pour nous de découvrir comment la neuro-ergonomie peut optimiser les interactions homme-machine.

La mise en place d’outils pour suivre les performances cognitives d’une personne dans son cadre de travail et dans sa vie quotidienne suscite un intérêt croissant. Connu sous le nom de neuro-ergonomie, ce domaine de recherche encourage l’utilisation de dispositifs portables pour mesurer l’activité du « cerveau au travail », dans un cadre écologique. Les chercheurs peuvent par exemple, recourir à l’imagerie spectroscopique proche infrarouge fonctionnelle (fNIRS), qui présente l’intérêt de laisser l’individu (sur lequel on effectue des mesures) libre de ses mouvements. L’aéronautique est un « terrain de jeu » idéal pour démontrer l’intérêt de mettre l’approche neuro-ergonomique au service de la technologie BCI (Brain Computer Interface – Interface Homme-machine). En effet, mieux comprendre les processus cognitifs sous-jacents à ce type d’interaction, pourrait s’avérer utile pour améliorer la sécurité, ainsi que l’efficacité de la performance humaine.

L’équipe de scientifiques de l’ISAE et de l’Université Drexel (Philadelphie, Etats-Unis), a utilisé la technique de la spectroscopie (en ambulatoire) et a équipé 28 pilotes de ligne afin de mesurer leur activité cérébrale au travail. Il s’est agi de surveiller plus précisément les variations d’oxygénation du sang dans le cortex préfontal, qui est impliqué dans les fonctions cognitives telles que la résolution de problèmes, la mémoire, le jugement et le contrôle des impulsions. Parmi les pilotes volontaires, 14 (âge moyen = 29.25 ; 3 femmes ; moyenne heures de vol = 80) évoluaient dans un simulateur de vol. Les 14 autres personnes (âge moyen = 23.07 ; 1 femme ; moyenne heures de vol = 44.07) étaient en conditions réelles. Qu’il soit dans une cabine virtuelle ou dans un véritable aéronef, chaque pilote, pendant son vol, a eu à accomplir une série de tâches de mémorisation.

Ainsi, il devait écouter diverses instructions du contrôle de la circulation aérienne et les répéter. Tous les messages débutaient par l’indicatif d’appel de l’avion, suivi immédiatement d’une séquence de paramètres de vol, et se terminaient par un « over ». Le pilote avait ensuite 18 secondes pour répéter les instructions délivrées. Afin de familiariser les sujets avec le protocole, une séance d’entraînement a été réalisée avant l’expérience. Ensuite, chacun d’entre eux a dû répéter 20 instructions plus ou moins facile à mémoriser. La moitié des messages présentaient une faible charge en mémoire de travail (les 2 premiers chiffres étaient les mêmes pour chaque paramètre de vol, par exemple : vitesse 140, cap 140, altitude 1400, vitesse verticale +1400). Pour l’autre moitié des messages, les valeurs étaient toutes différentes pour chaque paramètre. L’expérimentateur a évalué la capacité du pilote à répéter les instructions et les données du fNIRS ont été enregistrées pendant cette tâche.

Les résultats de cette étude indiquent que les pilotes en conditions de vol réel ont commis plus d’erreurs et ont eu une activation du cortex préfontal plus élevée que leurs collègues évoluant dans le simulateur. Par ailleurs (et pour nous rassurer !), notons que dans les deux conditions expérimentales, les pilotes se sont montrés très performants (avec un score supérieur à 76% en mémoire de travail).

Cette étude prouve la nécessité de surveiller la charge de travail cognitive du pilote dans une situation de vol réaliste. Selon les auteurs, elle met aussi en avant l’intérêt d’une adaptation dynamique dans l’interface homme-machine, afin que celle-ci soit capable de lire en temps réel l’état d’esprit du pilote, son niveau d’attention et sa capacité à traiter de nouvelles données. Nous rentrons ici dans le domaine de l’intelligence artificielle au service de l’humain.

Mickaël Lenfant
Docteur en Sciences du Langage, Service éditorial HappyNeuron

Source : Gateau T, Ayaz H., Dehais F. In silico vs. Over the Clouds: On-the-Fly Mental State Estimation of Aircraft Pilots, Using a Functional Near Infrared Spectroscopy Based Passive-BCI, in Frontiers in Human Neuroscience , mai 2018