30 Sep 2019 Oublier serait-il plus difficile que se souvenir ?
Dans une proportion plus ou moins grande, nous avons tous des souvenirs que nous souhaiterions voir disparaître. Et c’est avec plus ou moins de succès que nous essayons de les effacer de notre mémoire. Selon une étude menée par des chercheurs de l’Université du Texas (Austin, Etats-Unis), cette volonté d’oublier quelque chose pourrait requérir davantage d’effort mental que d’essayer de s’en rappeler. Comment sont-ils parvenus à cette découverte ?
Nos souvenirs ne sont pas statiques ; ce sont des constructions dynamiques de notre cerveau qui sont, de façon régulière, actualisées et réorganisées en fonction de nos expériences de vie. Nous nous rappelons et oublions constamment des informations ; le plus souvent pendant que nous dormons. De précédentes études ont montré que l’oubli jouait un rôle essentiel dans la conservation des souvenirs et l’élimination des informations non désirées. Traditionnellement, l’oubli intentionnel s’effectue grâce à des processus passifs, tels que le retrait de l’attention soutenue ou l’arrêt de la répétition de la mémoire. Cet oubli a également été associé à la suppression des processus de la mémoire, lors des phases d’encodage et de récupération. Sur le plan cérébral, la plupart des recherches sur les processus qui régissent l’oubli intentionnel ont mis le focus sur les structures de contrôle du cerveau (comme le cortex préfrontal) et les structures de mémoire à long terme (principalement l’hippocampe). Il s’agissait de déterminer si le cerveau tentait en fait de détourner l’attention du mauvais souvenir ou d’empêcher son effacement.
La présente étude a opté pour une démarche alternative en se concentrant plutôt sur le cortex temporal ventral, une région du cerveau associée au traitement des informations sensorielles et perceptuelles (cela comprend les souvenirs de stimuli visuels complexes). C’est ainsi que Jarrod A. Lewis-Peacock, du Département de psychologie et de l’Institut des neurosciences, déclare : « nous ne cherchons pas la source de l’attention dans le cerveau, mais sa vue. ». Concrètement, les scientifiques ont présenté à des participants adultes une série d’images (des scènes et des visages) qu’ils devaient soit mémoriser, soit oublier. Pendant l’expérience, leur activité cérébrale a été enregistrée (via l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle – IRMf).
L’analyse des données de la neuro-imagerie apporte une nouvelle preuve que les humains ont bien la capacité de contrôler ce qu’ils oublient, mais que réussir à oublier un stimulus nécessite davantage d’activité cérébrale dans les zones sensorielles et perceptuelles que celle déployée pour s’en souvenir. En effet, les chercheurs ont découvert que les personnes à qui on demandait d’oublier activement une image présentaient un niveau d’activité plus important dans le cortex temporal ventral par rapport à celles à qui on demandait de s’en rappeler. Co-auteure de l’article, Tracy Wang précise que : « un niveau modéré d’activité cérébrale est essentiel au mécanisme d’oubli. Trop fort, cela renforcera la mémoire ; trop faible, et vous ne la modifierez pas. » C’est donc l’intention d’oublier qui augmente paradoxalement l’activation de la mémoire et c’est lorsque celle-ci atteint ce point d’équilibre du « niveau modéré » que l’oubli ultérieur pourra être effectif.
Notons que les sujets de l’étude ont eu plus de « facilités » à effacer de leur mémoire les images de scènes que celles présentant des visages ; ces dernières véhiculant, selon les chercheurs, une plus grande quantité d’informations émotionnelles. Selon eux, ce résultat serait alors cohérent avec l’hypothèse de la plasticité non monotone, qui prédit l’affaissement et l’oubli des souvenirs modérément activés.
Pour conclure, cette recherche œuvre à la compréhension du comment et du pourquoi nous sommes capables d’oublier. Elle ouvre des perspectives intéressantes sur les moyens de contrôler cette capacité d’oubli intentionnel ; moyens qui pourraient s’avérer fort utiles pour aider les personnes en souffrance à se débarrasser de souvenirs douloureux.
Mickaël Lenfant
Docteur en Sciences du Langage, Service éditorial HappyNeuron