Peut-on prévoir le potentiel créatif d’une personne ?

Dans les arts, les sciences mais aussi dans la vie quotidienne, la pensée créative est centrale. De récentes recherches en psychologie et en neurosciences ont identifié les régions du cerveau impliquées dans la créativité. Une nouvelle étude internationale révèle plus précisément l’architecture neurale d’un cerveau hautement créatif. L’occasion de répondre à cette question : pourquoi certaines personnes sont plus créatives que d’autres ?

Pour leur étude, Roger E Beaty (psychologue à l’université d’Harvard), ainsi que ses collègues autrichiens et chinois se sont donc focalisés sur les caractéristiques neurocognitives des personnes dites hautement créatives. Il s’est agi pour eux de découvrir s’il existait un profil spécifique de connectivité du cerveau chez ces personnes et si la pensée créative individuelle pouvait être prédite, de façon fiable, à partir de la force de connectivité au sein de ce réseau neuronal. C’est une véritable cartographie du cerveau pendant une activité de réflexion créative que souhaitait établir l’équipe de scientifiques. Selon les auteurs, la capacité créative d’une personne pourrait, en partie, s’expliquer par une connexion entre trois réseaux cérébraux.

163 personnes recrutées à l’Université de Caroline du Nord ont participé à cette recherche (113 femmes ; âge moyen = 22.50). Ces participants, pour beaucoup, avaient un goût prononcé pour l’art, la musique, les sciences. On leur a soumis une tâche de « pensée divergente », qui consiste à trouver des utilisations alternatives pour des objets. Les sujets avaient 12 secondes pour donner une réponse orale. Trois chercheurs ont classé les idées des plus communes (utiliser une chaussette pour se réchauffer les pieds) au plus inhabituelles (s’en servir pour filtrer l’eau). Durant ce test, des scintigraphies IRmf ont été réalisées, afin de mesurer le flux sanguin dans certaines parties de leur cerveau.

Le premier constat établi est que les participants qui réussissaient le mieux dans cette tâche, c’est-à-dire qui faisaient preuve de davantage de créativité, avaient, pour la plupart, déclaré pratiquer des loisirs créatifs. Ensuite, les chercheurs ont établi des corrélations entre le score de créativité de chaque personne avec toutes les connexions cérébrales possibles (environ 35000) et ils ont éliminé les connexions non corrélées avec les scores de créativité. De ce « tri » a émergé un réseau « hautement créatif » qui relève de trois systèmes cérébraux spécifiques. Le premier, appelé « réseau par défaut », est lié à la réflexion spontanée, telle que l’errance de l’esprit, la rêverie. Il peut jouer un rôle majeur dans la génération d’idée. Le deuxième, le réseau de direction ou de contrôle exécutif, est un ensemble de régions qui s’activent lorsque les personnes ont besoin de se concentrer ou de contrôler leur processus de pensée. Le troisième, le réseau de saillance, agit comme un mécanisme de commutation entre les deux autres réseaux ; c’est-à-dire qu’il nous aide à déterminer ce qui doit retenir le plus notre attention. Fait intéressant : les résultats de cette étude suggèrent que les personnes les plus créatives sont mieux à même de co-activer ces trois réseaux qui, habituellement, fonctionnent séparément (le réseau par défaut et le réseau de direction ayant tendance à œuvrer l’un contre l’autre).

Enfin, les chercheurs ont utilisé la modélisation prédictive pour tester la possibilité d’estimer le potentiel créatif d’une personne. Les résultats ont révélé une corrélation significative entre les scores de créativité prédits et ceux observés. De plus, ces « prédictions » ont également été réalisées sur trois autres échantillons de participants (notamment en Autriche et en Chine), avec les mêmes résultats. Ainsi, selon la force des connexions dans le réseau décrit supra, il serait possible de prédire la capacité de pensée créative d’une personne.

Selon R. Beaty : « nos résultats indiquent que le cerveau créatif est « câblé » différemment et que les personnes créatives sont davantage en mesure d’impliquer des systèmes cérébraux qui ne fonctionnent généralement pas ensemble ». Reste à déterminer si ces réseaux créatifs sont malléables ou relativement fixes. Par exemple, prendre des cours de peinture stimulerait-il une plus grande connectivité au sein de ces réseaux ?

Mickaël Lenfant
Docteur en Sciences du Langage, Service éditorial HappyNeuron

Source : R.E. Beaty et coll., « Robust Prediction of Individual Creative Ability from Brain Functional Connectivity », in Proceedings of the National Academy of Sciences, janv. 2018